L'enseignement au service du lien social

Comment vous êtes-vous organisée depuis le confinement ?

Sur 25 élèves, 23 ont Internet, cela facilite les choses. Je fais deux envois par semaine. J’ai commencé par une vidéo sur les dangers des écrans, car le risque que des enfants regardent des dessins animés trop longtemps est assez grand. Les parents ont bien compris le message. J’ai ajouté des conseils : ressortir les jeux de société et surtout échanger, discuter. Pour aider au calcul, des petites choses de la vie quotidienne peuvent être utiles : combien d’assiettes dois-je mettre sur la table pour la famille ? Combien de couteaux et fourchettes ? J’ai aussi envoyé une petite vidéo « la Petite Poule rousse ». Pour ceux qui disposent d’une imprimante, ils peuvent sortir l’histoire, la lire et échanger dessus.

Comment faites-vous pour les deux familles qui n’ont pas Internet afin qu’elles ne soient pas pénalisées ?

D’abord, je me refuse à ce que les enfants viennent à l’école, comme le préconisait le ministre de l’<font face="Times New Roman, serif"><font size="3">É</font></font>ducation nationale, Jean-Michel Blanquer, le confinement est nécessaire et pour tout le monde. Ensuite, ces familles ont des smartphones. Je photographie les documents. Par exemple, l’un sur la discrimination visuelle, bien reconnaître les P et les B, et, surtout, j’invite les parents, mais aussi les grands frères, les grandes sœurs à aider leur petit frère ou petite sœur, en leur posant des questions pour qu’ils assimilent plus facilement. J’envoie des petites fiches pour donner des idées de jeux pédagogiques, construire des tours en Lego de tailles différentes. Avec des jeux de cartes, il est possible de les classer par couleur, par valeur, c’est un travail de concentration.

Comment vivez-vous la distanciation ?

Elle est nécessaire, obligatoire pour combattre le Covid-19. Ce que je veux, c’est continuer à créer du lien social. Tous les parents, les enfants peuvent me joindre s’ils ont des questions, s’ils rencontrent des difficultés ou simplement s’ils veulent échanger sur un sujet. Dans cette période difficile, personne ne doit être mis à l’écart, il est même essentiel de resserrer les liens.

Est-ce qu’avec le Covid-19 les inégalités explosent, sont plus visibles ?

Bien sûr, mais pour nous ce n’est pas une nouveauté, il y a des familles qui disposent d’écrans informatiques, de télévisions, de livres, tandis que d’autres n’ont pas tout cela. Le suivi pédagogique est donc extrêmement compliqué. Le problème pour un certain nombre de familles, c’est uniquement de boucler les fins de mois. Plusieurs d’entre elles, aujourd’hui, n’ont plus de revenus. Nous avons constitué un groupe de soutien sur les réseaux sociaux afin de répertorier les besoins des familles en difficulté et de pouvoir y remédier, grâce à l’entraide.

Votre rôle dépasse largement le cadre de l’enseignement ?

Oui, il n’est pas possible de remplacer des enseignants qui apprennent, partagent, échangent avec des enfants par du numérique. Des parents m’envoient des messages : comment faites-vous pour leur apprendre, nous, on n’y parvient pas. Ces messages font plaisir. Nous avons eu mes collègues et moi-même des remerciements de l’inspectrice d’académie pour le travail que nous faisons.

Est-ce que vous avez des échos du travail accompli par vos collègues au plan national ?

Ce qui est sûr, c’est que la continuité pédagogique ne peut se faire dans les zones blanches du pays. Comment font les parents pour faire travailler leurs enfants alors que rien ne passe ? Et les distances peuvent être importantes entre le domicile et l’école. <font face="Times New Roman, serif"><font size="3">Á</font></font> l’inégalité territoriale, il n’y a pas de connexion, peut se rajouter l’inégalité sociale.

Propos recueillis par Christiane Grave