Cultures urbaines : Des murs empreints d’art et d’histoire

Né dans les marges, cultivé dans les quartiers populaires, l’art urbain est un véritable levier d’expression et de transformation de l’espace public. À Vitry, il est bien plus qu’un décor. Investie par des artistes locaux et internationaux, la ville est aujourd’hui reconnue comme une scène phare du street art en France.

Publié le 20 septembre 2025 Modifié le 22 octobre 2025

Des fresques participatives dans les quartiers

Deux judokas – ceintures noires, casquettes à l’envers et dents serrées – prêts pour le combat. C’est la fresque réalisée à la nacelle par l’artiste Brok sur la façade extérieure du gymnase du Port-à-l’Anglais.

Avec le graffeur Akhine, ils ont également brossé le portrait de feu Lionel D, animateur et rappeur vitriot pionnier du mouvement hip-hop en France, dans “la cité Jean-Couzy où il a grandi”, située quartier du 8-Mai-1945. “Je voulais le faire depuis des années !” s’émeut Brok.

Durant le festival Mur/Murs, d’autres fresques verront le jour, signées Bebar, Pearl et Babs, en cocréation avec les habitant·e·s, et avec le soutien de la ville et des bailleurs sociaux. Tous sont Vitriots et membres de Triple A (Aérosol artiste association), une structure récemment créée afin de mutualiser les moyens et de développer des projets autour de l’art urbain.

“Le but, c’est d’embellir les quartiers prioritaires et d’initier les enfants au street art”, soutient Wuze, à l’initiative du collectif.

À Vitry, ces œuvres ne sont pas de simples décorations : elles sont le symbole d’une ville ouvrière et populaire, fière de sa diversité. Pour mieux comprendre cette dynamique artistique, il faut remonter aux origines du mouvement, bien loin d’ici.

Fresque réalisée dans le cadre de Mur/murs 2025 sur le gymnase du Port-à-l’Anglais.

Des origines outre-Atlantique

L’art urbain naît dans les années soixante, dans les quartiers défavorisés de Philadelphie, aux États-Unis. Cette contre-culture artistique émerge dans un contexte de guerre froide et de mobilisations sociales, notamment en 1968. En France, le mois de mai donne voix à une jeunesse révoltée, qui n’hésite pas à placarder affiches et slogans sur les murs.

Dans les décennies suivantes, la culture hip-hop se développe à travers la musique et la danse, mais aussi le tag et le graffitis – bien souvent perçus comme des actes de vandalisme. Qu’à cela ne tienne, tagueurs, graffeurs, pochoiristes s’approprient l’espace public – comme à Vitry.

Brok est de ceux-là, dans les années quatre-vingt-dix. En 2006, l’art de rue acquiert une nouvelle dimension avec l’arrivée de Christian Guémy, alias C215, à Vitry. Le pochoiriste, connu pour ses portraits colorés, y installe son atelier.

En 2009, il s’associe à Jamel Meftah et crée l’un des premiers festivals consacrés aux arts urbains : Vitryjam.

“C’était un pari pour attirer du monde, pas seulement des banlieusards mais aussi des parisiens, à travers une mixité générationnelle, culturelle et sociale, se souvient Jamel. Vitry a toujours été aux avant-gardes du hip-hop, de la musique, du graffiti… C’était très underground. Vitryjam, ça a ouvert les vannes vers des disciplines artistiques plus variées.”

Avec cinq éditions au compteur, le festival permet à des dizaines d’artistes venus du monde entier de donner vie aux murs vitriots, à travers des live painting  (peinture en direct) et des vernissages.

Vitry, musée à ciel ouvert

Peu à peu, la ville devient un véritable musée à ciel ouvert – sans compter les plus de 130 œuvres commandées par la ville dans l’espace public dans le cadre du dispositif 1 % artistique. Un musée que l’on peut visiter, comme avec Vitry’n Urbaine, qui a longtemps proposé des visites guidées.

“C’est une déambulation qui permettait aux citoyens de découvrir la ville à travers le street art”, précise Jean- Philippe Trigla, président de l’association. “Ce n’est pas un cache-misère, précise Brok. On utilise l’urbanisme pour changer la vie des gens.” Et Wuze d’ajouter : “Ça rend fiers les habitants !”

“L’œuvre, ce n’est pas l’image elle-même, mais ce qu’elle provoque d’interrogations sur le lieu”, dixit l’artiste plasticien Ernest Pignon, souvent considéré comme l’un des précurseurs de l’art urbain en France.

À Vitry, certaines fresques sont à jamais gravées dans l’ADN de la ville : le Héron du belge Roa, près de la place du Marché ; les guerriers Bantou de Kouka Ntadi, avenue Henri-Barbusse ; ou encore l’immanquable robot de Pixel Pancho à la sortie du RER, rue Pierre-Sémard.

Triple A projette aujourd’hui de créer une carte pour référencer cette multitude d’œuvres présentes dans l’espace public. Cette effervescence a contribué à l’émergence d’une nouvelle génération d’artistes vitriots, comme Seny – le fils de Jam – ou Bebar, aujourd’hui reconnu à l’international.

Car si le graffiti non autorisé reste illégal, il existera toujours – et incarne cette double réalité : transgression et expression. “Le street art, c’est une grosse marmite”, conclut Wuze.

Clément Aulnette