Cultures urbaines : Vitry, berceau du hip-hop français

Importé de New York par les pionniers comme Lionel D et EJM, le hip-hop a trouvé dans notre ville un terrain de revendication idéal. Rappeurs, graffeurs, danseurs et même sportifs enrichissent chaque jour cette culture, autrefois underground, désormais présente à chaque coin de rue.

Publié le 20 septembre 2025 Modifié le 22 octobre 2025

Depuis plus de quarante ans, Vitry s’est imposée comme l’un des bastions de la culture hip-hop en France. Du rap à la danse en passant par le graff ou la mode, des artistes les plus renommés à la scène émergente, la ville continue de vibrer au rythme du hip-hop et de ses transformations portées par les nouvelles générations.

En novembre 1988, la première émission dédiée au hip-hop français est lancée sur les ondes de Radio Nova. Deenastyle cartonne dans les banlieues à commencer par Vitry, ville dont est originaire l’un des deux présentateurs : le regretté Lionel D, habitant de la cité Couzy. Au parc des Blondeaux, en bas des quartiers, les jeunes écrivent, répètent et s’enregistrent à l’aide de postes à pile.

“C’était une époque où l’on n’avait pas grand-chose, mais où l’on donnait tout pour la musique”, se souvient Fréderic, habitant du quartier des Combattants.

Rap, mais aussi danse, graff, et un tout nouveau style vestimentaire… Le mouvement culturel originaire des ghettos noirs de New York trouve un écho particulier auprès de la jeunesse française des quartiers populaires.

À Vitry, EJM, originaire de Commune-de-Paris, est l’un des premiers à explorer le break, le graffiti et à se lancer dans le rap à la fin des années quatre-vingt. Sulee B Wax, aujourd’hui producteur de plusieurs artistes, crée le groupe de danse hip-hop Atomic Breakers avec Doudou Masta, et plus tard le collectif Les Little MCs.

D’autres rappeurs de renom font leurs débuts dans la ville : Rohff et OGB à Robespierre, mais aussi Mokobé, AP et Rim’K qui fondent le groupe 113 en 1994, en référence au numéro de leur bâtiment de la rue Camille-Groult.

Dans un milieu très masculin, c’est dans un collectif qu’émerge l’une des premières rappeuses de l’histoire du rap français : Sté Strausz. Vitriote originaire de La Vannoise, elle est intégrée à la Mafia Underground qui compose à la fin des années quatre-vingt-dix la bande originale du film Taxi.

Les artistes en devenir se retrouvent autour d’un même désir, celui de raconter le quotidien des banlieues françaises et dénoncer les stigmatisations subies. L’actualité politique et sociale du pays, les violences policières, le racisme sont une source inépuisable d’inspiration.

“Il y avait un vrai besoin d’être représenté et de s’exprimer face aux injustices, de façon franche et sans détour”, résume Samir Salah, dit OGB.

Ce dernier rejoint, en 1995, un nouveau collectif qui rassemble des artistes de Vitry, Choisy et Orly. La Mafia K’1 Fry enchaîne les succès et crée sa marque de vêtements qui adopte comme logo un continent africain. Tee-shirt, survêtement, veste en cuir, les pièces s’arrachent dans toutes les banlieues de France.

Une culture en perpétuelle évolution

Pour accompagner l’essor de cette nouvelle culture, les équipements municipaux et les associations s’adaptent. Des salles de répétition sont mises à disposition. Des ateliers de danse et de rap sont pro- posés. Des compagnies sont accueillies en résidence au théâtre Jean-Vilar. Le chorégraphe Fouad Boussouf, aujourd’hui directeur du centre chorégraphique national du Havre, anime plusieurs ateliers à Vitry où il repère de jeunes talents comme Yanice Djae et Sébastien Vague. Inaugurées en 2005, les Écoles municipales artistiques accueillent une section hip-hop et organisent des stages dédiés aux danses urbaines.

“L’énergie était folle, la banlieue avait pris l’ascendant sur la capitale, à côté de Vitry, Paris semblait endormie”, raconte Ludger, qui propose à l’époque des cours de danse et de programmation musicale. En 2008, il devient coresponsable du Sub, la scène urbaine de musiques actuelles, un tout nouvel équipement municipal dédié aux jeunes artistes, installé dans l’ancienne salle insonorisée de la Maison de la jeunesse. Le Sub propose des concerts, des sessions d’improvisations et des scènes ouvertes. Tous les ans, il organise le festival Hip-hop source qui met à l’honneur la nouvelle scène émergente. Lors des Fêtes du lilas, chaque concert proposé débute par une première partie assurée par de jeunes artistes vitriots.

Melynda en a fait l’expérience en mai dernier : “C’est un exercice très formateur, on en apprend beaucoup face au public”, assure celle qui reconnaît que le milieu a changé : “On ne chante plus comme ceux qui nous ont précédés, explique la jeune femme, mais on continue de raconter notre quotidien, notre ville, les relations filles-garçons, et beaucoup se retrouvent dans nos textes”. Vingt ans après les Victoires de la musique décernées au 113 pour leur tube Tonton du bled, la culture minoritaire est devenue majoritaire, ultra-populaire. Le rap a évolué vers la trap, voire la pop…

Pour désigner tout le panel des musiques nées du hip-hop, l’industrie musicale emploie d’ailleurs les termes de “musiques urbaines”. Si la nouvelle génération de Vitry adopte les nouveaux codes, elle continue de marcher dans les pas de ses aînés, les pionniers :

“Ce sont eux qui nous ont inspirés, et qui m’ont donné envie de me lancer”, confie ainsi Rayane, jeune rappeur de 24 ans.

Dans son morceau Vitry all Star – V sorti en 2020, Rim’K met ainsi à l’honneur 35 talents vitriots. Fidèle à Vitry, toujours fier et solidaire.

Majda Abdellah

La ville se tient aux côtés des artistes

Les cultures urbaines n’ont jamais manqué de se renouveler et d’attirer de nouveaux artistes. Aujourd’hui, de nombreux équipements, fêtes, et événements sont dédiés à l’expression des jeunes Vitriot·e·s.
Fatmata Konaté, adjointe au maire chargée de la Culture, détaille, lors d’un entretien, l’accompagnement que la ville propose aux artistes.

Dans leur grande diversité, les cultures urbaines constituent un héritage dont nous sommes fiers et reconnaissants. Le hip-hop a permis aux habitants des quartiers populaires, longtemps invisibilisés, de prendre la parole et d’exister dans l’espace public. Le rap, le graff, la danse ont été pour beaucoup de Vitriots une première porte d’entrée vers l’expression artistique. Aujourd’hui, cette culture populaire né dans les banlieues est reconnue : le rap, par exemple, est le genre de musique le plus écouté par les jeunes. À Vitry, nous tenons très fort à cet héritage et refusons qu’il soit accaparé par le système capitaliste dans une seule logique de profit. La ville se tient aux côtés des artistes qui résistent aux appels des sirènes du marché pour que cette culture conserve son authenticité et sa force contestataire.

À travers la ville, plusieurs espaces sont mis à disposition des artistes. Le Sub est un lieu dédié aux artistes avec une programmation musicale qui permet d’offrir de la visibilité aux jeunes artistes. Aux Fêtes du lilas, toutes les premières parties sont assurées par des artistes vitriots. C’est une tradition à laquelle nous sommes attachés. Nous soutenons aussi les associations locales, les centres sociaux et les centres de quartier, des lieux où, tout au long de l’année, les jeunes sont invités à s’exprimer.

À notre échelle, il faut continuer à proposer des événements dédiés aux femmes dans l’espace public. Je pense aux initiatives menées dans le cadre de la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars. Le concours d’écriture Tu vois le genre ! est un exemple d’événement qui encourage l’expression artistique des femmes et des jeunes femmes. Accorder plus de visibilité aux artistes féminines peut également permettre de lutter contre l’autocensure des jeunes femmes.