Mouhamadou, le Prof, retour à la réalité

Assis dans une salle de classe de l’école Paul-Éluard où il a été remplaçant en juin 2025, Mouhamadou est à l’aise devant les journalistes. Non pas parce qu’il a l’habitude de parler devant un public, mais parce qu’il n’est pas novice. Il a déjà été interviewé par l’Humanité et Le Parisien à l’occasion de la sortie de son livre : Mouhamadou, le Prof : 50 histoires vécues.

Dans cet ouvrage basé sur le contenu de son compte @balancepourlabalance sur TikTok et Instagram, il raconte des anecdotes de son quotidien. Parmi les chapitres : “C’est une histoire de poux” ou encore “C’est l’histoire d’un prof noir… pris pour du chocolat”. Il dissèque chaque situation et explique ses réactions. “J’ai essayé de faire quelque chose qui puisse être étudié par les familles, les enseignants et les instituts de formation.”

Depuis qu’il a commencé à poster en 2021, il n’a jamais reculé devant les sujets sensibles. Dans une de ses premières vidéos, il met en scène une réunion avec un directeur qui considère son prénom “imprononçable” et propose de l’appeler “tout doux”. Mouhamadou cherche à ouvrir une fenêtre non seulement sur l’école, mais aussi de refléter son expérience en tant qu’homme noir. Son parcours est atypique. Après une tentative de carrière de basketteur pro, il reprend ses études puis passe le concours pour devenir professeur. Il prend son premier poste à Cachan en 2017. Tout se passe bien, mais il manque quelque chose :

“J’avais l’impression que, que ce soit moi ou un autre enseignant, ça ne changeait pas grand chose. Je ne retrouvais pas l’école que moi j’avais connue”.

Né à Paris de parents sénégalais, il a grandi dans une famille nombreuse. À la maison, il parlait diakhanké et ressentait une déconnexion entre l’école et la réalité de sa vie. “En accompagnant mes parents à des rendez-vous scolaires, eux qui ne maîtrisaient ni la langue ni les codes de l’institution, j’ai ressenti qu’une partie de nos identités était mise de côté, ou en tout cas pas mise en valeur.” Il prend la décision de devenir remplaçant pour voir s’il peut être plus utile ailleurs et sillonne alors le Val-de-Marne.

C’est en voyant les différences d’une école à l’autre qu’il décide de partager ses expériences avec le grand public, pour déconstruire les “fantasmes” et “faire en sorte que les familles et l’école puissent vraiment travailler ensemble”. Il avoue que son compte se veut une critique du système éducatif en France et de la société au sens large. L’école est censée être le haut-lieu de formation à la citoyenneté, mais il trouve la vision universaliste à la française “un peu dépassée”.

“Dire qu’on voudrait que les nouveaux arrivants se fondent tellement dans le collectif qu’on ne puisse plus voir leur nature originelle, ce n’est pas possible.

Ne pas prendre en compte cette diversité, c’est passer à côté d’une réalité … et de l’objectif que l’on vise d’unité nationale.” Il veut donc que sa critique soit constructive. D’où cette question qui revient dans son livre et sur ses comptes : “Et vous, que feriez-vous ?” Pédagogue et drôle, il espère surtout éveiller l’esprit critique de ses followers, lecteurs, élèves. Sa popularité sur les réseaux, et sa connaissance de l’institution dans laquelle il exerce, lui confie un certain statut d’expert. Il a été invité, par exemple, à intervenir à l’Assemblée nationale.

Plus récemment, il a participé à la création d’un support éducatif de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage. Il posera sa voix sur des vidéos sur les histoires de résistants contre l’esclavage. Le texte qu’il a écrit et qu’il lira est le fruit d’un travail de recherche approfondie. À partir de cette rentrée, il exerce son métier d’enseignant à mi-temps.

Ce qu’il fait de l’autre moitié ? Ça, c’est un secret. Entrer en politique ? Ça ne l’intéresse pas tant que ça. Il préfère rester sur le terrain, au plus près de la réalité