Commerces à l'heure du covid

Publiée le 19 mai 2020 - Mise à jour le 19 mai 2020

© Sylvain Lefeuvre

Depuis le 11 mai, tous les commerces et les marchés de plein air sont théoriquement autorisés à ouvrir. À Vitry, seul le marché couvert du 8-Mai-1945 peut fonctionner pour le moment. Pour survivre au choc économique, pendant le confinement, plusieurs petits commerçants ont bouleversé leurs habitudes.

Système D pour le commerce ambulant

Hervé appréhende la future reprise. Poissonnier au marché du Centre-ville, encore fermé, il ne va pas se précipiter sur son étal. “Je crains que certains clients soient partis ailleurs et ne reviennent pas. Et puis, nous ne pouvons pas monter de cloison en plexiglas au marché, alors nous inventerons une solution avec du film plastique, un sens de la file, des masques et gants pour nous, et un « coup de sauce» – de gel hydroalcoolique – pour les clients qui le souhaitent.”

Pendant le confinement, le poissonnier a eu des sueurs froides. Pendant 3 semaines, plus de marchandises de son fournisseur, mareyeur à Saint-Gilles-Croix-de-Vie, en Vendée, car les ports étaient fermés. Puis Hervé a décidé de livrer ses clients à domicile. Il s'est inscrit notamment sur la plateforme “Mes commerces à domicile” conçu  par la Chambre de commerce et d'industrie d’Île-de-France. Ainsi, chaque vendredi, Delphine, sa compagne, sillonne la ville pour 20 à 30 clients. “Nous avons commencé avec nos petits vieux, puis une bonne cliente, et ça a été une trainée de poudre. C'est notre façon de participer à l'effort en temps de crise. Parce que pour 2kg de sardines achetées et livrées, je ne paie pas mon gazole !”

Ses trois extras du marché de Vitry sont au chômage partiel, et il a du avancer leurs salaires, en attendant le remboursement de l'État. En mars, son chiffre d'affaires a chuté de 30 %, en avril, de plus de 50 %.

Le coup de massue a été le même pour Wissem, qui travaille avec l'équipe de Jouda, vendeur de fruits et légumes au marché du 8-Mai-1945. “Le confinement, c'était double effort pour moitié de chiffre d'affaires.” Eux aussi ont mis sur pied, en quelques jours, un système de livraison, grâce à de la publicité sur les réseaux sociaux. “Mes tableaux de commandes, je les ai fait à la main, car je n'avais plus d'encre.” Deux voitures, un petit camion, deux livreurs et c'est parti, dès l'aube, pour le négoce à Rungis. “Les aubergines, les poivrons ont flambé, alors on a réduit nos marges pour maintenir les prix. Les fraises françaises, entre 8 et 12 € le kilos, on en a fait une fois, on n'a pas recommencé : trop chères. Les clients voient la différence : ma courgette est à 1,99 €, je l'ai vu à 4 € de plus en grande surface, à Vitry.”

Jouda installe également, avec l'autorisation de la ville, un étal éphémère de primeur sur le trottoir devant la boucherie Eden, qu'il connaît bien. “Nous avons beaucoup de clients qui n'ont pas Internet, les mamies, les chefs de famille.” En plein ramadan, il ouvre 7 jours sur 7 de 10 h à 19 h. Un rythme intense pour un salaire inférieur au SMIC. "Nous sommes d'habitude 3 à 8 extras sur le marché”, précise Wissem, “Certains n'ont pas le chômage. On gagne une petite croûte, on se la partage”.
La réouverture de leur marché du 8-Mai-1945 est un immense soulagement. “Nous n'avons pas peur. Nous pouvons organiser la file d'attente avec des cagettes vides. Et puis une cliente médecin nous a donné des masques. Deux autres nous en ont même cousu, lavables, en tissu. Nous sommes prêts !"

Des commerces qui s'adaptent

Les commerces alimentaires classiques, parmi les 75 établissements restés ouverts pendant le confinement à Vitry, sont nombreux à avoir installé des cloisons en plexiglass. “Désormais, à la caisse, nous sommes comme dans une petite boîte”, explique Karou, responsable d'une supérette Coccinelle au Plateau. “De nombreux clients ont eu le coronavirus, ça donne le stress. Nous passons notre vie dans ce magasin.” La porte est télécommandée, seules 5 personnes entrent à la fois, et des lignes sont tracées au sol pour les distances. “Les gens ne vont peut-être plus jamais se serrer la main. Maintenant, sans masque, je ne me sens plus en sécurité.”

“Et moi vous me voyez avec un masque ? Je parle tout le temps !” Installé avenue Paul-Vaillant-Couturier depuis 22 ans, le boucher Jean-Pierre Gicquel plaisante. Pour le moment, seule sa femme, en contact direct avec la clientèle, en porte. Chez eux, le confinement s'est plutôt bien passé. “Je ne vais pas cracher dans la soupe, nous avons bien travaillé, les gens ont le temps et chacun fait attention.”

Une vie à l'échelle du quartier

Le confinement profite en effet aux commerce de proximité. Cela pourrait même être un tournant pour la Cyanopsitta, la petite épicerie bio du Port-à-l'Anglais. Malgré la fermeture de la partie restaurant-salon de thé, la vente de fruits et légumes a multiplié le chiffre d'affaires par deux et sauvé ces mois difficiles. “Comme il fallait vivre ces dernières semaines à l'échelle du quartier, cela nous a permis de rencontrer de nouvelles personnes, d'élargir notre clientèle.” Marianne, qui gère le lieu avec Alban, son compagnon, n'accueille qu'un client à la fois dans la boutique et sert elle même tous les fruits et légumes. Avec parfois un peu de stress. Leur producteur, Didier, qui livre ses produits à Vitry en direct de Bapaume, dans le Pas-de-Calais, a vu sa demande globale multipliée par 8... Il faut satisfaire tout le monde alors que la main d'œuvre manque pour le ramassage dans les champs. Mais, dans le même temps, les yaourts bio de la Bergerie nationale de Rambouillet arrivent en masse à l'épicerie, à prix cassés. Destinés d'ordinaire aux cantines et aux collectivités, toutes fermées, il fallait écouler les stocks.

Une crise qui interroge l'avenir

La crise sanitaire interroge pourtant l'avenir de cette jeune entreprise. “Nous avons le projet de nous agrandir, en créant une SCOOP, une société coopérative, qui nous permettrait d'embaucher. Mais une telle période nous incite à bien réfléchir avant de nous lancer !”

De l'autre côté de la gare RER, le boucher Gicquel jette un rapide coup d'oeil à son voisinage : “Pour les commerces qui sont restés fermés, c'est dur. Certains risquent de ne jamais rouvrir. Les restos, les grecs, les bars... Il faudrait maintenant que tout le monde puisse rouvrir, sinon, c'est la catastrophe”.

Lucie Darbois

 

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