Dans les profondeurs de la centrale EDF
Publiée le 21 septembre 2021 - Mise à jour le 27 septembre 2021

Ce week-end, à l'occasion des Journées du patrimoine, la compagnie Tangible a clôturé sa résidence d'artiste menée depuis 2018 au sein de l'ancienne centrale à charbon EDF. Près de 200 personnes ont ainsi pu découvrir le site, par petits groupes, suivant le parcours artistique élaboré par la compagnie. Un pas de côté, pendant lequel le visiteur patrimonial s'est transformé en spectateur du vivant et du sensible.
A l'entrée de la centrale, un petit train attend plus d'une vingtaine de visiteurs. Casque de sécurité vissé sur la tête, les voyageurs admirent le panorama. Les deux grandes cheminées qui balisent l'ouverture du site délient les langues. Venue.s de Vitry-sur-Seine mais également de toute la région Île-de-France, tou.t.e.s en ont une représentation, au détour de l'autoroute, du périphérique ou de leurs villes.
Quel avenir pourrait-on leur imaginer ?
Certain.e.s les envisagent comme un futur complexe sportif, entre varappe, funambulisme et murs d'escalades, d'autres les emménagent déjà comme un site de tourisme avec appel à projets d'architecte pour y glisser des passerelles permettant de contempler le paysage. Et tandis que le petit train s'ébranle les conversations se poursuivent.
A mi-parcours du bloc-usine, apparaît au loin un chercheur. Dans son frac couleur sable, Sébastien Molliex prélève plumes et insectes. Mime silencieux, il donne au regard, la pleine mesure de ce territoire désormais en déshérence. A l'entrée du bloc-usine, Edwine Fournier, solennelle et facétieuse énonce les conditions de la visite : rester groupé, ne pas faire de photos, se taire. Et c'est alors l'entrée muette dans le cœur de l'usine.
Vision post-apocalyptique d'un lieu immense peuplé de machines démesurées, silencieuses. Au loin une bande son dispense des bruits de frappes métalliques. Quelques pas encore et des fantômes, tissus tachés de rouille, comme des chrysalides, ouvrent à l'imaginaire de la compagnie : entre mémoire de l'homme et transformation du vivant.
Guidé par la compagnie, le groupe pérégrine, erre au milieu d'une exposition plastique de vis, boulons, pièces de machine, fleurs de charbon, outils et leurs moules en faïence, vestiges de performances passées. L'ambiance sonore entre mécanique et biotique guide les pas dans les profondeurs de la centrale d'où surgit un violoncelle. Les partitions imaginées par Gwenaëlle Roulleau, Benoît Poulain et Julie Mondor habitent le lieu, deviennent ludique ou hypnotique, inquiétante et animale, usent des machines comme des instruments et habitent les chorégraphies aranéides d'Edwine Fournier.
Déambulant de manière ordonnée, un peu médusé, le groupe poursuit son exploration, de surprises vidéo, en installations, performances et concert, jusqu'au sommet de l'usine, retrouvant soudain l'évidence de la lumière naturelle. Ici la trace de l'homme se réduit à de minuscules sculptures blanches qui habitent les tuyaux cédant la place aux nouveaux occupants du lieu à l'image des toiles d'araignées qu'accompagnent le discours d'une chercheuse, et des traces soulignées de visiteurs quadrupèdes, de plumes d'oiseaux ou encore des plantes qui percent ici ou là.
A l'issue de la déambulation, les membres du centre post-exploitation expliquent les futurs étapes du démantèlement de l'usine, rendant cette ultime visite à une nouvelle trace mémorielle, un patrimoine éphémère.
Puis arrive le retour à l'entrée de l'usine. « C'est une magnifique transition pour ce lieu, commente Céline, une invitation à l'imaginaire, un superbe message artistique avec du vivant ». Certain.e.s encore un peu absorbé.e.s par leur immersion préfèrent rester dans leurs mondes, d'autres apostrophes, envieux les nouveaux visiteurs « vous allez vous régaler ! ». Djafer qui travaille à l'accueil de la centrale, se réjouit, « c'est un immense plaisir d'avoir ce travail artistique ici, et de voir le public venir découvrir ce lieu ».
Sylvaine Jeminet
Pour continuer ou découvrir le travail de la compagnie tangible rendez-vous au théâtre Jean-Vilar, pour une conférence-débat le 7 octobre autour du thème les « chantiers du vivant » qui sera accompagnée d'une exposition rétrospective « Points de vue » jusqu'au 21 octobre.
Compagnie Tangible
Depuis 2018, la compagnie Tangible, dirigée par Edwine Fournier et Sébastien Molliex, accompagne le démantèlement de l'ancienne centrale à charbon EDF, par des performances reliant la mémoire du lieu à celle des hommes comme avec la transmission des bleus de travail des ouvriers, ainsi que par de nombreuses performances chorégraphiques et sonores ou encore par des ateliers de sensibilisation auprès des jeunes. Créatrice de l'archéographie, « une démarche de fouille artistique consistant à aborder le terrain urbain comme un véritable corps vivant », Tangible a mis au cœur de son projet une réflexion autour de la place du vivant, en appelant à des chercheurs sur les araignées, les mousses, les lichens, les oiseaux...