André Frot : balayeur de rue, une vie

“Je ne suis pas écrivain. Au début, je ne pensais pas écrire un livre, explique André Frot, balayeur des rues de Vitry pendant quarante-deux ans. Je voulais simplement m’exprimer : rendre hommage à mes grands-parents vitriots pauvres qui m’ont élevé, raconter ma vie, mes souvenirs personnels.” Les baignades dans la Seine et les premières Fêtes du lilas, l’école Montesquieu et la classe de perfectionnement, l’arrachement quand ses parents l’ont repris avec eux au Havre, puis sa fuite pour revenir au giron, à Vitry.

Raconter aussi pour oublier

“J’ai peut-être voulu raconter aussi pour oublier certains souvenirs.” André effleure du doigt deux médailles d’honneur or et vermeil de la ville. Il les repose près des bons de rationnement de la guerre et des photos de sa grand-mère de Plouha, en Bretagne, sur laquelle il prévoit d’écrire un livre. Puis, quittant la chambrette garnie de maquettes voitures, navires bretons et vaisseaux spatiaux, il s’enthousiasme : “je vous emmène rue André-Frot !” Cinq enjambées dans son deux-pièces du quartier Gare/Jean-Jaurès, et nous y voici. Entre cuisine et salon, une plaque de rue accrochée au mur porte son nom et indique : “agent émérite du secteur propreté urbaine”. Un cadeau des collègues de la Voirie quand il est parti en retraite…

"Dédé le balayeur heureux"

André, qui avoue la bavardise comme défaut principal et à qui sa femme reconnaît un calme étonnant, est un homme amoureux de la nature. Amateur “de l’odeur de menthe sauvage et de fougère”, de randonnées en forêt faites avec l’ESV pour s’aérer la tête, du “bleu du ciel et de l’océan”, il a cependant dans la ville, aussi, ses coins préférés. En tant qu’habitant d’abord. Par exemple, la rue Nobel qui a peu changé et où son grand père, ancien poilu, résidait et lui racontait le Chemin des Dames. Il a aussi ses préférences de balayeur. Comme le Port-à-l’Anglais, où il a travaillé après ses débuts à 23 ans.

“J’y ai vu les enfants grandir. Les habitants m’aimaient beaucoup, je parlais avec tous, ils se confiaient et, moi aussi, je donnais des nouvelles. Quand ils m’entendaient chanter, ils disaient : « tiens voilà Dédé, le balayeur heureux ! »”

Mais rendre la rue propre n’est pas une sinécure. André en témoigne et espère “toucher la conscience des lecteurs” pour améliorer l’image du métier, indispensable. “Les astreintes de neige et verglas, debout dans la benne, sur le tas de sable, à pelleter vers la chaussée… Les encombrants, tout ramasser à deux, à la main, gazinières, canapés… heureusement le matériel a évolué et les collègues travaillent maintenant à quatre sur cette mission.”

Du balai à la plume

Son parcours et son goût pour le récit ont enthousiasmé l’équipe de la librairie militante Livres en luttes qui a vu en lui un modèle et l’a accompagné un an dans cette aventure.

“On se rend compte comment une personne de condition modeste a pu s’épanouir dans un environnement vitriot avec l’accès au centre de santé, orthophoniste, clubs de sport, cinéma et théâtre municipaux, classe de neige…”, souligne le responsable de la librairie associative.

Si André a rejoint l’action collective pour se défendre professionnellement au sein de la CGT et, depuis sa retraite, Livres en luttes, il a su trouver aussi, quand il le fallait, des groupes d’amateurs pour vivre ses passions : randonnée dans de nombreuses régions, découverte de la montagne, réparation de vélo, maquettisme et reconstitution d’avion, bénévole au Musée de l’air et de l’espace du Bourget, recherche à la Société d’histoire de Vitry, dessin, lecture de romans historiques et de BD, philatélie. Et… l’écriture.

Gwénaël le Morzellec

Rencontre dédicace avec André Fot, vendredi 1er octobre - 18h, à la librairie Livres en lutte, 62 avenue Guy-Moquet.