Madame T : "la musique a toujours été en moi"
Publiée le 24 mars 2022 - Mise à jour le 24 mars 2022

À 28 ans et en moins de deux ans, la Vitriote Tatiana Segla, alias Madame T, est parvenue à s’entourer d’une équipe qui l’accompagne aujourd’hui dans l’élaboration de son premier album, Attrape le monde. Rencontre avec une jeune femme qui déborde d’envie et d’idées.
C’est au moment du premier confinement que la souffrance a fini par se verbaliser. La perte d’un être cher, ami d’enfance, fait office de déclic ultime.
“Je me suis dit que si toute une vie pouvait vraiment s’arrêter du jour au lendemain, alors je n’avais pas une seconde de plus à perdre à subir mon quotidien”, confie Tatiana.
Ainsi débute son introspection : isolée, Tatiana remonte le fil de sa jeune vie, ses années à Vitry, son entrée dans le monde du travail, et nourrit bientôt l’envie de faire un morceau de rap.
“La musique a toujours été en moi, depuis petite, que ce soit à travers le chant, les sonorités afro-caribéennes qui m’ont bercée ou l’écriture”, explique-t-elle. Toutes ses économies passent dans l’acquisition de matériel. En parallèle, elle lit et se documente, non sans frénésie, suit l’actualité et bouillonne intérieurement.
“À 27 ans, j’ai découvert une partie cachée de mon histoire, celle des travailleurs et des dissidents antillais”, confie celle dont la grand-mère est arrivée de Guadeloupe en métropole dans le cadre du programme déployé de 1963 à 1981 par le Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer pour répondre au besoin de main d’œuvre de l’Hexagone en reconstruction. Un déracinement brutal en échange d’un logement et d’un emploi dans l’administration française. De cette histoire familiale vient peut-être quelques-unes des valeurs transmises à Tatiana : l’importance du travail, la quête de stabilité, le confort d’un salaire... En bref, l’appel d’une vie rangée que la jeune fille a bien tenté de suivre.
On n'est pas condamné à l'échec
À ses 18 ans, sur les conseils de sa mère, elle renonce à son groupe de musique, The Gold Wave, qui ambiançait la MJC de Fresnes, pour se consacrer aux études. Elle finit par rejoindre l’institut d’études politiques de Saint- Germain-en-Laye. Sacrée victoire pour celle qu’on avait orientée vers un bac professionnel. “On me jugeait trop moyenne pour un bac général, comme toutes les personnes de ma classe auxquelles certains enseignants rabâchaient qu’on était nulles”, se souvient-elle. À cette époque pourtant, le morceau Banlieusards de Kery James est dans toutes les oreilles, et son refrain : “on n’est pas condamné à l’échec” résonne tout particulièrement en elle.
“Je sentais que je subissais à mon tour un système qui brise des vocations, où l’on doit sacrifier ses passions sur l’autel de l’insertion, comme si suivre ses rêves, ce n’était pas fait pour nous.”
Son album Attrape le monde invite à saisir le courage à pleines mains pour oser se découvrir et s’écouter, loin des injonctions sociales. Un passage comme communicante dans des ONG, puis dans une start-up dédiée à la démocratie participative l’ont convaincue que seul l’art pouvait transformer les mentalités. Madame T aborde aujourd’hui, à travers son art, des sujets d’intérêt général. Son premier single Pas là évoque la santé mentale, “tellement sous-diagnostiquée dans nos cités alors que beaucoup en souffrent”.
Un projet engagé et sans étiquette
Parmi ses sujets de prédilection figurent aussi la conscience noire, l’accueil des migrants ou le déterminisme social. Son projet engagé et sa personnalité hermétique à toute étiquette ont séduit des grands noms du milieu artistique. Dans son équipe, on compte aujourd’hui plusieurs coréalisateurs ayant collaboré avec Kanye West, Mylène Farmer ou plus récemment Ninho. Bien inspirée, Madame T s’essaie aussi au cinéma et travaille sur un projet de court-métrage qui a déjà reçu les faveurs de France Télévisions, quand elle ne réfléchit pas à développer une société d’art engagée implantée sur le territoire.
Mais qui donc pourra la stopper ? Une nouvelle étoile vitriote est née
Portrait réalisé par Majda Abdellah