Réforme de la retraite : et la santé au travail ?

Publiée le 30 janvier 2023 - Mise à jour le 06 février 2023

©2023 - Julian Renard

Alors que la mobilisation se poursuit et s'amplifie, la santé dégradée au travail, avec les risques et la pénibilité, est une des motivations fortes des citoyens pour s’opposer au projet reculant brutalement la retraite à 64 ans. Qu’en disent les médecins du travail ?

La volonté d’augmenter la santé au travail se manifeste par des plans, lois, accords obtenus de haute lutte, perfectibles, et qui parfois… régressent. 

En 2023, le gouvernement d’Elisabeth Borne projette de reculer l’âge légal de la retraite à 64 ans et d’augmenter jusqu’à 43 le nombre d’années de cotisation. Soit une exposition accrue au travail, ce qui constitue en soi une dégradation du sort des salariés, de leur santé, de leur avenir de retraité. À cet effort, la compensation paraît floue. Le projet prévoit de réduire les seuils d’exposition aux risques et, pour ceux qui font face à plusieurs risques, d’accélérer le nombre de points déposés sur le compte professionnel de prévention (C2P), tandis qu’un droit de reconversion serait créé et la formation renforcée.

Comment faire jusque 64 ans ?

Patricia, à la CGT, la cinquantaine, travaille en clinique à Vitry et se pose des questions.

« Comment allons-nous faire pour tenir jusque 64 ans ? Nous avons déjà du mal à arriver à 60 ans – et dans quel état ! – en travaillant le jour ou la nuit, et avec une fatigue physique et pshychique éprouvante. Je pense en particulier aux agents hospitaliers, pas diplômés, qui commencent à travailler très jeunes. »

Risques et filières identifiées

À l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, INRS, organisme indépendant en charge d’améliorer la prévention des risques au travail, on identifie les filières d’activités les plus à risque pour la santé.

Sur son site, on souligne, entre autres, le secteur du bâtiment et des travaux publics.

« Il concentre près de 9 % des salariés du régime général et représente à lui seul environ 18 % des accidents avec arrêt de travail et près de 30 % des décès. » 

On y pointe encore « les professionnels en établissement de soins à l'hôpital ou en clinique potentiellement exposés à des risques infectieux, physiques et psychosociaux (RPS), à des produits chimiques, aux troubles musculosquelettiques (TMS) ».

Médecins du travail alarmés

Plusieurs médecins du travail et observateurs expliquent leur réticence à ce projet loi :

• Le docteur Jean Louis Zylberberg, médecin du travail CGT, ingénieur, diagnostique le plus souvent des TMS et des dépressions et crises d’anxiété généralisée.

« Je constate des AVC chez des personnes de 50 ans que je ne voyais pas quand j’ai débuté, il y a près de trente ans. En effet, ils correspondent aux risques d’absence d’autonomie dans le travail, conflits étiques et de valeurs, insécurité au travail lié au plan de licenciement, facteurs identifiés depuis 2012 et la cohorte de suicides à France Télécom ». Le médecin, très mobilisé, note que la santé dégradée par le travail se poursuit dans la filière du BTP dans laquelle le recours à la soutraitance ne protège pas les salariés des TPE. »

• Dominique Boscher, médecin du travail CFDT, tout juste retraité, ex-représentant salarié au conseil d’administration de l’INRS, estime que « le gouvernement doit entendre raison ». 

« La course à la productivité prend toujours le pas sur les considérations humaines et médicales. Beaucoup de salariés ne se voient pas faire un an ou deux ans de plus. » Dans un bassin d’emploi du sud parisien il a constaté de nombreux cas de fatigue mentale, voire de burnout, pouvant provoquer hypertension, ulcère, diabète, perte de mémoire. Mais c’est venus d’abattoirs bretons qu’il a vu « des gens extrêmement impactés par des troubles articulaires et mentalement, victimes d’une usure prématurée de l’organisme – un terme de la Sécu", ajoute-t-il. 

• Laurent Laporte, secrétaire général CGT pour l’union fédéral UFMICT, responsable confédéral pour le Collectif des médecins de la santé au travail, s’alarme de risques minorés.

« 20 % des infirmier·ère·s partent en invalidité avant l’âge de la retraite et se retrouvent parfois sans revenu, cela concerne encore 30 % des aides-soignant·e·s ». Il analyse plus globalement la situation. « Quelque chose est tordu : le président Macron dit que la pénibilité est au centre du débat, mais c’est faux. Les inspecteurs du travail sont de moins en moins nombreux, les CHSCT, comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail, n’existent plus et les médecins du travail sont contrariés dans leurs missions. »


Le maire, Pierre Bell-Lloch, en soutien à la mobilisation, a annoncé la fermeture des services municipaux mardi 31 janvier après-midi et a appelé les habitants à rejoindre le rassemblement, dès 12h, devant l'hôtel de ville. 
La mobilisation se poursuit mardi 7 février et samedi 11 février.

 

Gwénaël le Morzellec

Les critères de pénibilité au travail

En 2017, portée par le gouvernement d’Édouard Philippe, la loi Travail sur la pénibilité comportait de fortes régression. Elle avait notamment retiré, parmi les 10 critères de risques susceptibles de « laisser des traces durables, identifiables et irréversibles sur la santé des salariés », 4 d’entre eux pourtant inclus dans le Code du travail depuis cinq ans.

• Seules avaient été retenues les activités exercées dans : un milieu hyperbare, des températures extrêmes, du bruit, le travail de nuit, le travail en équipes successives 5X8 et 3X8, répétitif.
Ces conditions de travail génèrent des points sur le nouveau compte professionnel de prévention (C2P) ouvert automatiquement, lequel permet formation, travail partiel ou départ anticipé.

• En revanche, avaient été recalés : les manutentions manuelles de charges, les postures pénibles, les vibrations mécaniques, le contact avec des agents chimiques dangereux. 

Les employés exposés à ces risques peuvent recourir à une visite médicale avant la retraite pour bénéficier d’un départ anticipé quand une maladie professionnelle est reconnue avec un taux d’incapacité permanente au-dessus de 10 %…

 

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