Robert Séguéla, "la chaîne de solidarité est indispensable"

Il l’avoue d’emblée, sa première histoire d’amour avec la lecture. “À mon entrée au collège, une voisine de condition aisée m’a donné tout une encyclopédie. Il faut savoir que dans notre campagne les nouvelles nous arrivaient par les marchands ambulants, alors, soudain, le monde s’est agrandi”, se souvient Robert Séguéla, depuis son appartement avenue Rouget-de-Lisle, au salon paré de quelques tableaux et de deux petites bibliothèques.

Depuis vingt ans à Vitry, où il a initié la librairie Livres en luttes et le Festival du roman noir et social, ce natif du Tarn-et-Garonne colore les conversations de son accent du Sud-Ouest. Ses réminiscences pétillent d’une enfance lumineuse et paysanne :

“l’odeur de l’eau du fleuve, si particulière avec la vase et l’herbe, la maison familiale au sol en terre battue, sans électricité, où l’eau se hissait du puits et où le toit ne pouvait nous tomber sur la tête, car, avec mes quatre frères, on était toujours à filer dans les champs”.

Robert Séguéla réaffirme aussi ses fondations modestes. “Ma mère se louait dans les fermes pour s’occuper des vaches, mon père était manoeuvre en maçonnerie.” À 16 ans, il quittera son village pour faire carrière à la SNCF...

Des leçons de la vie ? Robert en reconnaît quatre.

Une : se rebeller contre l’injustice. La colère monte en lui le jour où, en classe, l’instituteur ne le cite pas à l’appel des rares petits villageois qui avaient été, comme lui, préparés et sélectionnés pour intégrer le collège : “je me suis levé les deux poings sur le bureau : « et moi alors ? ! » Sans doute mes parents n’avaient pas rempli les formulaires d’orientation”.

Deux : être curieux quel que soit l’âge. Son meilleur ami de collège l’emmène plusieurs fois, le jeudi (jour sans cours à l’époque), découvrir un château quasi inhabité accessible par un boyau caché. “Si je ne l’avais pas suivi, je n’aurais pas touché les très vieux parchemins, porté les armures des corridors, admiré les objets anciens, quel dommage, non ?”

Trois : comprendre que lorsqu’on n’est pas préparé, c’est dur d’être bien quelque part. “Le lycée, à 17 kilomètres, était immense, j’ai dit que j’allais y mourir (d’ennui) et n’y suis pas allé, plus tard encore, j’ai mis trois mois à m’aventurer hors de la gigantesque caserne, à Trève en Allemagne, où je me trouvais pour mon service militaire, et découvrir heureusement la ville magnifique.”

Quatre : comprendre que seul on ne peut rien, ensemble c’est possible.

Le Festival du roman noir et social, et ses trente auteurs rassemblés à Vitry en décembre, vit grâce à son ami écrivain vitriot, Antoine Blocier, et soixante bénévoles. Livres en luttes, librairie associative originale, avec sa vitrine à Vitry et son stand sur le marché un samedi par mois et lors des manifestations et congrès en France, est une idée concrétisée par Robert il y a douze ans.

La boutique, située 62 avenue Guy-Moquet, commercialise des ouvrages progressistes donnés par les particuliers – 150 000 titres parmi lesquels la collection du physicien Frédéric Joliot-Curie – puis redistribue l’argent des ventes aux librairies et journaux indépendants. Une réalisation qui tourne à l’énergie humaine : des centaines d’adhérents, des dizaines de bénévoles, des soutiens locaux de municipalités telle Vitry.

“La chaîne de solidarité est indispensable : vous ne portez pas seul une idée toute votre vie sans pouvoir la faire avancer.”

Portrait réalisé par Gwénaël le Morzellec

REPÈRES
- 4 mars 1945
Nait à Finhan(Tarn-et-Garonne).
- Septembre 1957
Entre au collège puis, à la fin du cursus, est embauché à la SNCF.
- 1968
Père de 3 enfants, en poste à Decazeville, cité ouvrière et solidaire, s’engage à la CGT puis au Parti communiste.
- 1984
Rejoint pour le travail la région parisienne. Emménagera à Vitry quelques années plus tard.
- Novembre 2012
Crée et préside l’association Livres en luttes, librairie éditrice d’un 2e ouvrage à l’automne prochain.
- Décembre 2022
Troisième édition du Festival du roman noir et social qu’il a cofondé.