Rabah Lachouri : une histoire de l’immigration

À la retraite depuis un an, Rabah Lachouri n’a pas vraiment levé le pied. L’ancien responsable du secteur Accès aux droits des migrants au CCAS enchaîne les rendez-vous. “Hier, j’en ai eu huit !” sourit Rabah, l’index pointé sur son agenda. Leur objet tient souvent en quelques mots, ceux qui reviennent dans la bouche d’immigrés confrontés à la complexité de la machine administrative : demandes de visa, regroupement familial, naturalisation... Rabah Lachouri connaît bien le sujet.

Né en pleine guerre d’Algérie, orphelin de père, il fait ses classes à Aokas, en petite Kabylie. Sur les conseils de sa tante, de nationalité française, il rejoint la France pour poursuivre ses études de sociologie à la Sorbonne. “Je l’ai constaté auprès d’autres communautés, on rejoint toujours l’endroit où l’on a des attaches familiales ou des liens avec son village”, assure Rabah. Pour lui, ce sera le Val-de-Marne, à Saint-Maur-des-Fossés, puis Vitry et Ivry.

En parallèle de ses cours dispensés par d’éminents sociologues comme Pierre Bourdieu et Abdelmalek Sayad, il s’engage dans l’Amicale des Algériens en Europe. Celui qui avait pour projet de thèse l’étude du mouvement associatif se sait alors témoin privilégié de l’avènement des premières associations issues de l’immigration. “À l’époque, on croyait au mythe du retour au pays, on était des travailleurs de passage”, raconte Rabah. À Vitry, il se souvient des rencontres avec les premières associations d’immigrés, leurs stands aux Fêtes du lilas pour faire découvrir la culture du pays d’origine. Il se remémore : “Il y avait l’asso des Portugais, celle des Espagnols et puis nous, l’Amicale des Algériens”.

En 1991, Guy Martin, adjoint au maire, lui propose de prendre la tête de l’office municipal de l’immigration qui deviendra le secteur Accès aux droits des migrants.

Alors qu’il accueille et oriente les primo-arrivants dans leurs démarches, Rabah Lachouri, lui-même naturalisé Français, voit le nombre de pays d’origine s’agrandir et l’attitude des pouvoirs publics se durcir : “D’année en année, c’est devenu plus compliqué d’obtenir un simple rendez-vous en préfecture”. Son épouse franco-algérienne donne naissance à une fille, “contaminée par son père”, qui choisira comme lui la voie de la sociologie.

Le mouvement associatif issu de l’immigration évolue petit à petit. “On est resté en France, nos enfants y sont nés, les enjeux et le discours ne sont plus les mêmes”, explique Rabah. Pour apaiser les mémoires, œuvrer au dialogue et permettre l’émancipation de la nouvelle génération, il cofonde l’association Ensemble pour l’avenir en 2003. Basée dans le quartier Robespierre, elle compte aujourd’hui 500 adhérents, “dont 162 très actifs”. Conférences, fêtes de quartier, tablée ouverte à tous pendant le ramadan, accueil des enfants palestiniens et sahraouis l’été... Les nombreuses actions menées donnent corps à des valeurs qui lui tiennent à cœur : le respect de l’altérité, l’instruction et la solidarité. Alors qu’approche le vingtième anniversaire de l’association, le fondateur confie songer à “laisser sa place à la relève”. Pas facile de marcher sur les pas de Rabah : son engagement est exigeant, demande du temps et de l’empathie, de la patience et surtout des convictions bien ancrées.

Portrait réalisé par Majdah Abdellah

Quelques dates clées

• 1954 : Naissance à Beni-Hassaine en Algérie.
• 1978 : Arrivée en France à Saint Maur-des Fossés puis Vitry.
• 1980 : Adhésion à l’association l’Amicale des Algériens en Europe.
• 1985 : Fin de ses études de sociologie à la Sorbonne.
• 2003 : Création à Vitry de l’association Ensemble pour l’avenir.
• 2023 : Célébration en septembre du 20e anniversaire de l’association Ensemble pour l’avenir.