Lassana Sarre : peindre les invisibles
Publiée le 03 octobre 2023 - Mise à jour le 04 octobre 2023

L’artiste montant Lassana Sarre a apprivoisé l’art dès l’enfance, grâce notamment aux équipements vitriots. Il le rend bien à sa ville, en étant aujourd’hui le concepteur de sa médaille d’honneur, fidèle à son sens aigu de l’histoire.
Cigale ou fourmi ? Le vitriot Lassana Sarre, 28 ans, penche plutôt pour la fourmi, même s’il sait être insouciant, parfois. En jean et casquette, il se raconte, assis à même le sol près de grandes toiles peintes, dans son atelier, voie Georges-Carré. “J’essaie de vendre des tableaux, de vivre de ce travail… et redeviens parfois cigale comme pendant l’enfance !” Derrière lui, plusieurs de ses toiles figu- ratives, inspirées par l’art premier, attendent d’être achevées. Elles interrogent la cruauté du monde, en montrant les invisibles, les injustices, l’héri- tage, du colonialisme au capitalisme sauvage. Ainsi, le lait déshydraté qui enrichit en Afrique les firmes agroalimentaires plus que les femmes et leurs enfants. Ou encore un Jacques Chirac quasi statufié aux côtés d’un jeune homme-masque…
“Ma pratique d’instinct, c’est de témoigner de mon temps et de créer des images. On me reproche parfois une attitude absente, mais en réalité j’écoute, je vois… et je peins.”
Depuis 2019, son œuvre s’agrandit au fil des expositions : jusqu’au 5 novembre à la Biennale de Paname à Paris et Saint-Ouen, en cours aux Magasins généraux à Pantin, jusqu’en janvier au Centre d’art de Nice et une juste close à Bamako au Mali. Une reconnaissance qui récom- pense son acharnement aux études et au travail. Un sacré parcours, car cet élève décrocheur à 16 ans entame un CAP de dessinateur d’enseignes, avant de suivre sa voie artistique via un master à l’école des beaux-arts à Nice puis à Paris, en cours d’achèvement. Il y découvre les maîtres, l’histoire, y pratique la peinture, la vidéo, la scénographie, la sculpture.
“Comment devient-on artiste, je ne peux le dire : certains dessinent et s’arrêtent, d’autres continuent”, confie-t-il.
Le déclencheur semble diffus, mais résolument issu de Vitry, ville où il a grandi et réside aujourd’hui. L’art et sa puissance lui sont révélés à l’adolescence. “J’ai fait de la danse aux EMA en classe aménagée, du hockey sur glace, du graffiti avec mon ami Louis sur les murs de la ville, fréquenté les 3 Cinés Robespierre…”, raconte-t-il. Mais, surtout, l’art lui est distillé dès l’enfance au Mac Val. Le petit Lassana a assisté à sa construction.
“Mon père habitait tout près et, à l’inauguration, je me suis amusé dans une œuvre en forme de grands spaghettis, le Pénétrable jaune de Soto. On pouvait rentrer dedans, jouer à chat, ne plus voir l’horizon. Je me sentais en sécurité.”
En grandissant, il fréquente le musée, fait connaissance avec des employés, la directrice de l’époque, Alexia Fabre, et travaille même temporairement au restaurant. Si la vie n’est pas un long fleuve tranquille, des rencontres l’ont soutenu, tout comme l’attitude encourageante de sa mère, une femme “libre et forte”, souligne-t-il. “Cela m’a aidé à m’émanciper d’une croyance et d’une crainte, celles de ne pas réussir à devenir artiste en raison du milieu d’où je viens”. Ainsi, il retrouve à Paris Alexia Fabre, se lient à de jeunes peintres proches dans leur démarche, comme Ibrahim Méïté Sikely. C’est aussi à cette époque qu’il aide des migrants qui traversent la frontière près de Nice, auxquels il consacrera un portrait “pour les inscrire dans l’histoire”.
Quand il n’est pas à Vitry, sa ville d’enfance n’est jamais loin. “L’odeur de la pluie sur le goudron me renvoie comme une madeleine de Proust à la cour de mon école, à Diderot”, sourit-il. À Vitry, où “coexistent la pauvreté de certains habitants et une grande richesse grâce aux équipements collectifs”, il se sent fier d’avoir été choisi pour la conception de la médaille d’honneur de la ville. “Symboliquement, cela représente toute ma vie.”
Portrait réalisé par Gwénaël le Morzellec
REPÈRE
Nov. 1994 : nait à Paris XVIIIe avant de rejoindre, tout jeune, Vitry. Grandit dans une fratrie de sept enfants.
27/10/2005 : mort de Zied et Bouna dans un abri électrique en banlieue parisienne, suivie de semaines d’émeutes, « un tournant dans ma vie ».
Nov. 2005 : ouverture du Mac Val, tout près de chez lui, qu'il fréquentera assidument.
2020 : séjour au Mali, pays de sa mère, qui lui inspire plusieurs toiles.
Sept. 2022 : exposition les Amis durent, galerie Barrault à Paris, « une expo touchante, car l’amitié permet de faire face au chemin de dureté ».
Mars 2023 : crée le prototype de la médaille d’honneur de la ville.