Patrimoine : un bestiaire insolite

    
Le plan local d’urbanisme possède, en annexe, un inventaire intéressant : celui des 166 ouvrages architecturaux, bâtiments ou maisons de Vitry, classés au patrimoine remarquable, qui doivent être protégés. C’est l’occasion d’une balade, le nez en l’air, pour en apprendre un peu plus sur l’histoire de la ville, de son paysage architectural et de ses habitants.

Dans la liste hétéroclite du “patrimoine remarquable” répertorié dans le plan local d’urbanisme, il y a bien sûr les lieux emblématiques : l’hôtel de ville en brique rouge, les cheminées de l’ancienne centrale à charbon, le pont du Port-à-l’Anglais et plusieurs grands ensembles. Mais des détails, peut-être moins connus, piquent la curiosité. Comme ces animaux qui ont peuplé la ville ou ornent encore ses murs.

› Voir les parcours Patrimoine remarquables sur le site de la Maison du tourisme et des projets.

  

La basse-cour


La promenade débute au 31 de l’avenue Camille-Groult : des colombages, un bâtiment d’angle un peu trapu. Dans ce quartier, au XIXe siècle, vivaient encore poules et lapins. C’était la ferme du château de Vitry, avec sa cour de terre battue et ses imposantes dépendances en pierre. Mais le domaine disparaît au tournant du siècle. Jean-Claude Rosenwald, membre de la Société d’histoire de Vitry, raconte : “Le grand château est détruit en 1911, le parc de 26 hectares vendu à la découpe, comme les terres agricoles et la ferme”. Adieu veaux, vaches, cochons, couvée.

En savoir plus sur le château de Vitry

François Paparel, trésorier des guerres de Louis XIV, fait construire un château en 1708. Par la suite, différents propriétaires l'occupent dont le maréchal d'Alègre. Le château est proposé en 1907 comme hôtel de ville à la municipalité. Celle-ci n'arrivant pas à se mettre d'accord proposa un référendum aux habitants. Par 1.552 voix contre 1.151 l'achat du château est repoussé. Il est démoli en 1912 et les terres vendues en lotissements.

Caractéristiques du château :

  • Une maison seigneuriale composée d'une grande porte cochère, en entrant, cour dallée et grille de fer.
  • Un parc fermé par une grille de fer avec des allées ornées d'arbres et de jets d'eau. Jardin potager avec une issue sur la campagne.
  • Une ferme composée de basse cour, chambre, grenier, écurie, grange, étable à vaches et à porcs et d'autres bâtiments couverts de chaume et d'ardoises, avec terres, prés et autres appartenances, circonstances et dépendance de la dite terre.

Sur la place de l'Eglise se tenait la maison du Greffe et de la prison. La façade a été conservée lors de la restauration du quartier. L'entourage de la porte est encore visible sur la place Saint-Germain.

Les propriétaires se succèdent

  • En 1708 Claude François PAPAREL, trésorier ordinaire des guerres et de la Gendarmerie de Louis XIV, achète aux enchères du sieur Philippe Jacques, greffier en chef du Parlement de Paris, la seigneurie de Vitry-sur-Seine.
  • Le Marquis de la Fare, capitaine des Gardes du Corps du Régent, achète la Seigneurie de VITRY le 8 septembre 1719 à Vincent Leblanc, Grand Audiencier de France.
  • À la mort de Vincent Leblanc, les héritiers cédèrent la terre de Vitry au Marquis Maréchal d'ALEGRE, le 8 juin 1728, pour la somme de 255 000 livres.

Le Maréchal d'Alègre aurait d'abord transformé les salles du château en magasin à grains et à fourrage pour les louer aux paysans puis par la suite aurait tenté de vendre le château tout en restant Seigneur de Vitry.

  • Le 6 août 1735, Jacques Robin de la Pescellerie devient Seigneur de Vitry.
  • À la mort de Jacques Robin de la Pescellerie son petit fils Jacques Marie de Vougny, ancien mousquetaire de la Garde du roi, hérite.
  • Le 24 juin 1791, Jacques Marie de Vougny cède à Gaspard Philippe Petit du Petit-Val la Seigneurie. Le 19 avril 1796, ce dernier sera assassiné dans le parc du château.
  • Le Comte Louis Nicolas Dubois, préfet de police de Napoléon 1er, s'en rend acquéreur. Pour agrandir le parc il échange un terrain qui devient le champ de repos des Vitriots, contre le cimetière de St Gervais St Protais dont l'église avait été démolie en 1789 et qui jouxtait la propriété. Il décède en 1847.
  • Son fils, Eugène Dubois, conseillé d'état en hérite et meurt en 1868.
  • Pendant la guerre franco-allemande de 1870 une partie du château est transformée en hôpital pour les blessés du siège de Paris et ensuite pour ceux de la commune de Paris.
  • Par sa fille, Blanche Antoinette Rosalie Dubois, la Chastellenie de Vitry, par son mariage, passe dans la famille de Fadate de Saint George. À sa mort, en 1901, ses cinq enfants héritent.
  • En 1902, ils décident de vendre le château, le parc et la ferme, et créent une société civile, mandatée par M. de Rozay pour la recherche d'un acquéreur.
  • En novembre 1906, M. de Rozay, fait une offre de vente à la municipalité. Il cède le château et 14000 m2 de parc pour en faire la mairie.

M. Claude, architecte municipal, se charge d'établir un devis. L'achat, les travaux de modification et le mobilier se chiffrent à un total de 400 000 F.
Au sein du conseil municipal, deux groupes se forment : les partisans et les opposants de l'achat qui se refusent à voir la mairie de déplacer vers l'est de la commune et craignent l'augmentation des impôts.

Un référendum est alors proposé à la population et à lieu le 10 mai 1907.
Les partisans obtiennent : 1151 voix
Les opposants obtiennent : 1552 voix
Le 17 mai 1907 le conseil municipal, après une séance orageuse, entérine le référendum et par 12 voix contre 10 repousse le projet d'acquisition du château.

Jusqu'à cette date, le château est maintenu en bon état et il est inondé en 1910 lors de la crue de la seine.
Il est démoli en 1911-1912.

La partie du bâtiment, ajoutée au XVIIIe siècle et appelé petit château, est conservée.
Entouré d'un petit parc délimité par les rues actuelles D.Casanova, du parc et Guy Moquet, ce petit château est habité jusqu'en 1930, date à laquelle il est acheté par la municipalité et démoli.

À sa place ont été construits les bains douches municipaux, en place de l'actuelle Galerie Municipale, rue Guy Moquet.

Quant au grand parc, il a été vendu en lotissements à partir de 4F le m2.

Ainsi la seigneurie et Chastellenie de Vitry n'est plus qu'un souvenir. Seul vestige de ce passé, la grille qui se trouvait au bout de l‘allée des marronniers existe encore. Elle se trouve en bout de la place des Martyres de la Déportation.

  

Des cygnes


Il reste heureusement quelques volatiles au Clos-Langlois, entre la bibliothèque Nelson-Mandela et le chantier du futur métro. Au 10 de la rue Édouard-Tremblay, une porte discrète en fer forgé ouvre sur une belle maison en meulière. À son sommet, une frise en graffite – motifs gravés dans la chaux – représente des cygnes, mais aussi des écureuils et des instruments de musique.

Cette “maison aux cygnes” servait de dortoir aux jeunes patients du Dr Bourneville. Ce médecin talentueux, élève du professeur Charcot, ouvre en 1893 un institut médico-pédagogique (IMP) pour les enfants “nerveux et arriérés” comme les décrit une revue de l’époque. L’IMP accueille jusqu’à 89 pensionnaires qui s’instruisent, font du sport et du jardi- nage dans ce qui est aujourd’hui le parc du Coteau-Marcel-Rosette.

Depuis, la belle bâtisse sert de maison d’hôtes pour les délégations invitées par la mairie. Le cinéaste Jean-Pierre Mocky y a aussi tourné plusieurs scènes de film, avec des agents de la ville comme figurants.

En savoir plus sur Désiré-Magloire Bourneville

Médecin considéré comme l'un des tout premiers pédopsychiatres et humaniste qui contribua à la laïcisation des hôpitaux, Désiré-Magloire Bourneville a marqué de son histoire celle de Vitry.

Aujourd'hui oublié, ce médecin pionnier dans la prise en charge des enfants affectés d'une déficience intellectuelle était également un homme politique influent et un réformateur d'avant-garde.

Né en 1840 dans l'Eure, Bourneville devint interne des hôpitaux en 1865 et reçut l'enseignement de Charcot à la Salpêtrière. Se mêlant au mouvement démocratique, il fut élu conseiller municipal de Paris, puis député de la Seine. Nommé chef de service à Bicêtre en 1879, il lutta inlassablement pour obtenir les réformes nécessaires à la mise en place d'une prise en charge pédagogique des enfants déficients mentaux.

En 1883 il fit voter les premiers fonds pour la création d'un service spécial les accueillant et mit au point le traitement médico-pédagogique à l'origine de l'éducation spécialisée. Fort des résultats qu'il obtint, il fit campagne dans toute la France pour que soient créées des maisons spécialisées publiques.

N'y parvenant pas, il acheta neuf parcelles contiguës à trois propriétaires Vitriots le 5 novembre 1892 et ouvra l'IMP au 22 de la rue Saint-Aubin (aujourd'hui avenue Maximilien-Robespierre) le 11 février 1893. L'établissement, situé “à la campagne loin de toute usine”, offrait “les avantages précieux des écoles de plein air, assez près de Paris”. Le terrain comportait un hôtel particulier de deux étages en forme de “U”. À ce bâtiment principal en moellons recouvert de lierre, qui apparaît dans les archives dès 1787, Bourneville ajouta des constructions répondant aux besoins de l'institut, dont le “pigeonnier” à tourelles qui abritait le bâtiment d'hydrothérapie, l'actuelle salle Bourneville qui accueillait les salles de classe et “la Maison des cygnes” en meulière pour le gymnase et le dortoir.

Sur le terrain de trois hectares, les plates-bandes et les arbustes taillés dessinaient des formes géométriques que les enfants avaient apprises en classe et qu'ils pouvaient réviser au grand air. En 1905 l'institut accueillait une cinquantaine d'enfants encadrés par vingt-quatre adultes. Le Dr Désiré-Magloire Bourneville mourut en 1909 à Paris et fut incinéré au cimetière du Père-Lachaise. L'IMP perdure de nos jours, rue Verte, sur le Plateau, la commune ayant acquis le terrain en 1975 et inauguré le parc du Coteau en 1991.

Le magnifique cèdre du Liban que l'on peut y admirer constitue le dernier héritage que Bourneville légua à Vitry. En effet, l'arbre que Buffon aurait ramené d'un voyage d'étude fut menacé à la fin du XIXe siècle par le tracé d'une nouvelle rue que la municipalité souhaitait créer à partir du sentier du Rû-Grand traversant l'IMP. Bourneville alla le défendre devant la commission des chemins qui décida, à la séance du 19 août 1900, de modifier le plan d'alignement pour contourner l'arbre. C'est ce détour qui confère aujourd'hui son tracé sinueux à la rue Édouard-Til.

Des lions


1920 : les lions entrent dans Vitry ! Charles-Louis Lesueur construit alors de ses mains sa maison au 26, avenue Camille-Groult. Céramiste, employé dans une faïencerie d’Ivry, il a le talent et les matériaux pour habiller son pavillon d’un superbe décor, toujours visible aujourd’hui.

Des briques émaillées de plusieurs couleurs recouvrent trois façades et encadrent le motif principal : un lion rugissant en bas-relief, dans un joli camaïeu de vert. Il s’agit d’une copie réduite de la frise des lions du palais de Darius restauré par Artaxerxés II à Suse (Iran), datant de 510 av. J.-C. environ et conservée au musée du Louvre !

En savoir plus sur la Maison aux lions

La maison aux Lions est incluse dans le périmètre du parc de l'ancien Château de Vitry.

  • Il s'agit d'un pavillon sans étage, couvert de tuiles mécaniques ; son pignon aveugle est en moellons apparents.
  • La maison est revêtue de briques sur ses trois façades sur jardin : deux de celles-ci offrent la particularité d'être ornées de bas-reliefs de briques émaillées polychromes de grandes dimensions. Ces bas-reliefs sont une copie réduite, mais réalisée néanmoins avec un grand souci de fidélité, de la frise des lions qui ornait la façade nord de la première cour du Palais de Darius à Suse. Cette frise fut découverte au cours des fouilles de l'archéologue Marcel Dieulafoy en 1884 / 1886 et conservée au Louvre depuis.
  • La copie probablement due au sculpteur Charles Louis Lesueur, propriétaire de la maison étudiée ici, et qui travailla pour la faïencerie Emile Muller à Ivry. Or, les briques émaillées composant ces décors portent la marque de cette fabrique ; les deux bas-reliefs non émaillés et monochromes reprennent le même dessin que ceux réalisés avec glaçure, alors qu' ils semblent se rattacher par leur aspect aux lions reproduisent la Suite des Lions du palais de Darius et Artaxerxès à Suse (œuvre conservée au Musée du Louvre). En 1923, le statuaire Charles-Louis Lesueur (1856-1935) obtient l'autorisation de faire construire cette maison.

Charles-Louis Lesueur a présenté des œuvres à l'Exposition Universelle Internationale en 1889. Il a habité longtemps à Vitry d'abord avenue du Chemin de Fer (P.Vaillant-Couturier), puis rue Eugène Dubois (C. Infroit) où il installera son atelier.

   

Des agneaux


Au 27 de l’avenue Paul-Vaillant-Couturier subsiste un tout autre vestige. C’est une charmante boucherie, avec fer forgé et pissenlits dorés, ainsi décrite par l’inventaire du plan local d’urbanisme :

“La devanture témoigne du savoir-faire des artisans décorateurs de la fin du XIXe siècle et du tout début du XXe siècle. À l’extérieur, on retiendra le travail de ferronnerie visible sur l’auvent et celui des panneaux décoratifs situés en vitrine, staff peint faux marbre, doré et protégé par des plaques de verre”.

Dans un bulletin de la Société d’histoire, Francine, arrivée à Vitry en 1976, se souvient d’y avoir fait ses courses. Elle revoit la ribambelle d’agneaux en vente pour la fête de Pâques, la caissière bien à sa place et la longue file des clients. Depuis des années, malheureusement, les grilles du commerce sont fermées. Alors qu’il suffisait d’acheter un steak pour profiter en prime d’un morceau de “patrimoine remarquable”.

Lucie Darbois