Culture : Notre besoin est immense

Culture : notre besoin est immense

Dossier réalisé par Sylvaine Jeminet

Le confinement et les couvre-feux à répétition questionnent le sens de la vie. L’existence ne se résumerait-elle qu’à une seule fonction, économique ? Certainement pas répondent les Vitriot·e·s, acteurs de la culture, artistes et penseurs. La culture sous toutes ses formes aide à passer les épreuves, provoque joies, réflexions et émotions. Les lieux culturels travaillent en huis clos à leur réouverture, les artistes poursuivent leurs ouvrages et bientôt, ensemble, ils investiront l’espace public pour donner à nouveau la culture en partage.

Les conclusions d’une étude sur les pratiques culturelles des Français pendant le premier confinement montrent un accroissement du public ainsi qu’une augmentation des pratiques amateurs. Une autre vie culturelle a donc émergé sur le Net, témoin d’une nécessité de l’art sous toutes ses formes pour se divertir, trouver un sens à la situation, apprendre et échanger, partager avec les autres. L’art s’est déployé usant de tous les canaux possibles pour répondre aux attentes du public. Une façon de montrer que la culture donnerait à la vie la complétude nécessaire à son épanouissement.

L’étude menée par temps de confinement souligne également une assise plus universelle encore des pratiques culturelles. L’explosion des fréquentations des visites virtuelles de musées par les classes populaires, premières touchées par le chômage partiel, ainsi que l’intérêt inédit des seniors pour le spectacle vivant en ligne témoignent que la culture fait bien partie de la vie pour tous. La culture serait donc la condition même de l’existence humaine ?

“L’homme a besoin de culture, exprimait Stéphane Hessel, dans un entretien donné à la revue “Cassandre” en 2010. C’est une nécessité pour rester Homme et ne pas retomber dans ce à quoi la finance et l’économie mondiale tentent de nous limiter : être simplement des agents économiques, des consommateurs et des producteurs de biens matériels.”

À quels besoins la culture répond-elle ? L’art serait-il, comme le pense Kant, une liberté parce que désintéressé ?

“La culture apporte une respiration extraordinaire. C’est une façon de s’ouvrir au monde et de le penser autrement que par le diktat des mass-médias, par exemple. C’est très important pour l’équilibre dans notre société, qu’on puisse à un moment donné confronter nos idées, débattre, penser autrement. C’est la meilleure façon de bien vivre ensemble”, précise Fouad Boussouf, danseur, chorégraphe et directeur artistique de la compagnie Massala.

L’art est donc une liberté qui aide à faire société. Mais l’art mobilise aussi des émotions, intimes d’abord puis collectivement partagées. “Nous sommes des passeurs d’images, d’émotions, de partages, de regards sur l’autre”, explique Julien Fabre, responsable d’exploitation des 3 Cinés Robespierre. “Quand nous écoutons “Les Quatre Saisons”, nous sommes émus. Mais l’émotion n’est pas intellectuelle parce que ce ne sont pas des mots que nous entendons mais des sons qui n’ont de sens que par leur enchaînement mélodique. On peut donner toute sorte d’interprétation aux “Quatre Saisons”, à partir de son moi intime, mais une fois que le concert est terminé, la vie reprend”, raconte l’anthropologue Maurice Godelier dans “Fondamentaux de la vie sociale” (CNRS éditions).

Les Français passent en moyenne près de 15 heures par semaine, dont 36 % en concert ou en festival, dans des lieux comme, à Vitry, le SUB, la scène municipale de musiques actuelles, le Kilowatt et autres scènes associatives musicales. Partager une expérience culturelle permet ainsi de s’ouvrir au monde, de se laisser traverser par d’autres modes de pensée. “L’art doit continuer à circuler, parce que c’est une chose vivante, c’est le reflet de notre société. Il permet de mieux appréhender le réel et de le transcender”, insiste Céline Vacher, chargée de la communication à la galerie municipale Jean-Collet. L’expérience culturelle libère le regard des nécessités vitales et autres considérations utilitaires et rend attentif au point de vue d’autrui invitant à faire évoluer la société. Sans ce partage, le monde n’est qu’un labeur chaque jour recommencé.

Lieux de culture : contribuer au sens de la vie

Alors que les lieux de diffusion de la création restent inaccessibles, nous sommes privés des expériences culturelles, des rencontres, du lien, de l’émancipation et de la transmission qu’ils nous offrent.

De nombreux messages de soutien et d’encouragement parviennent aux lieux culturels de la ville, fermés en raison des mesures gouvernementales liées à la crise sanitaire, comme en témoigne Anne, qui les fréquente beaucoup.

“Mes activités culturelles, explique-t-elle, étaient parfaitement intégrées à mon rythme de la semaine. J’éprouve aujourd’hui un vrai déséquilibre. Je travaille et, le week-end, j’ai du mal à sortir, à profiter des rares choses qui sont autorisées.”

Sur les baies vitrées du théâtre municipal Jean-Vilar (TJV), des affiches ont été apposées, l’une d’elle clamant : “On peut mourir de solitude, de tristesse, d’ignorance”. Pour Nathalie Huerta, directrice du TJV, l’art est une histoire de partage. “Nous sommes des lieux où des hommes et des femmes se rencontrent de tous les milieux, toutes les générations, toutes les cultures. Des espaces où nous relions les êtres entre eux parce qu’ils partagent des émotions, des réflexions, dans lesquels nous construisons des imaginaires. Nous contribuons au sens de la vie.”

Depuis mars, et comme toutes les structures culturelles, le TJV n’a pu accueillir son public que par courtes intermittences. “Il n’y a plus de rapport à l’art vivant. C’est un lien social qui est stoppé net... Le théâtre est le lieu de la relation et c’est pour ça que c’est aussi fort émotionnellement”, insiste Nathalie Huerta. Et le créateur de la compagnie Massala, Fouad Boussouf, de compléter : “Nous, les artistes, nous sommes des réanimateurs de l’esprit et de la pensée”.

« À la tête des structures culturelles, il y a des personnes qui font des choix. C’est leur métier d’aller découvrir des artistes, de débusquer des paroles et des gestes artistiques, de prendre des risques. Ce sont des passeurs qui partagent le risque avec le public, accompagnent le spectateur en terre inconnue et font confiance à l’intelligence collective. L’homme a besoin de ces aventures-là, émotionnelles, artistiques, intellectuelles. L’art n’est pas là pour nous conforter dans ce que nous aimons déjà mais pour nous déplacer, nous rendre plus intelligent, plus curieux, plus ouvert. », complète Bérangère Vantusso, directrice du Studio-théâtre de Vitry-sur-Seine.

Créer le lien, émanciper la pensée, forger l’oeil critique donnent à chacun les conditions de son libre arbitre. Mais comment y parvenir alors que les lieux de diffusion de la création restent inaccessibles ? “La matière picturale doit être vue, car toute reproduction l’absorbe et ne peut la restituer. En outre, le commissaire d’exposition travaille sur la mise en espace des oeuvres pour qu’elles dialoguent entre elles”, explique Céline Vacher, de la galerie municipale Jean-Collet.

De fait, au seuil d’une exposition, au Mac Val ou à la galerie, le premier regard découvre l’espace, comme des prémices à l’univers artistique. Comment transmettre aux jeunes le goût de l’art, du cinéma et du théâtre, s’ils ne peuvent se confronter à l’œuvre ?

“J’interviens en option théâtre dans un lycée et, souvent, ces élèves ne sont quasiment jamais allés au théâtre. Or, lorsqu’on les y emmène, quelque chose se passe de l’ordre du choc dans le rapport à la pensée, à l’émotion, au sensible. L’expérience du théâtre dans la salle n’existe pas ailleurs. Elle ne peut pas exister par le numérique”, raconte Alison Cosson, autrice dramaturge.

Et le cinéma ne fait pas exception. “Actuellement, les enfants n’ont jamais été autant devant des écrans, poursuit Julien Fabre, des 3 Cinés Robespierre, mais ils n’ont pas les filtres pour accueillir cette image brute et la comprendre. Nous participons à tous les dispositifs pour aider les jeunes à décrypter et analyser l’image tout en favorisant leur éveil à la création artistique et, actuellement, nous ne pouvons plus effectuer ce travail.” Les ateliers déployés dans les écoles ne peuvent se substituer au travail mené dans la salle de cinéma. “D’autant, insiste Alison Cosson, que les interventions dans les écoles sont de vrais projets qui demandent du temps, de l’argent et de la réflexion. Ils ne doivent pas être conçus comme faute d’autre chose, mais à revendiquer en soi.”

Si l’absence d’expériences culturelles en réel perturbe le public, comment les artistes poursuivent-ils leur création, loin du regard des spectateurs ? “Ne plus pouvoir agir dans et devant le public, ne plus pouvoir organiser d’événements avec d’autres artistes, ne plus pouvoir mixer, danser avec les autres est encore une nouveauté pénible, invalidante et frustrante. Le numérique est magique, il permet de garder le lien mondialement, mais l’humain n’est pas là. Je reste donc dans ma grotte à créer sur des logiciels et à dessiner. J’ai cette chance, je l’exploite, j’essaie”, explique Véronique Hubert, plasticienne et performeuse.

“Pour accompagner la transformation du territoire, nous avons fait le choix d’un travail qui passe par l’expérience du corps, il est donc difficile de nous en passer sur une longue durée. Pendant ces temps de fermeture et de latence, nous avons travaillé à un film qui témoignera de cette expérience unique en son genre et, surtout, qui ne se reproduira pas. Car le bâtit, l’ancienne usine EDF, est détruit au fur et à mesure”, ajoute Edwine Fournier, chorégraphe et archéographe, cocréatrice de la compagnie Tangible en résidence aux Ardoines.

De son côté, Fouad Boussouf travaille sur les perspectives sollicitant son équipe et les maintenant dans l’action. “Les danseurs ont besoin de vivre cette expérience de la scène, et je continue à les faire répéter. Il faut être encore plus soucieux du bien-être des uns et des autres. Les théâtres, comme le TJV, travaillent sans relâche pour que ça continue de fonctionner. Nous sommes encore plus solidaires entre les théâtres et les compagnies”, conclut-il.

Espace public : surgissements culturels

La culture fait partie de l’identité de Vitry. Puisque les lieux culturels sont fermés, les équipes ont imaginé les moyens de redonner à voir la création artistique en investissant l’espace public. Ouvrez donc grand vos yeux et vos oreilles, et laissez-vous surprendre, émerveiller par ces émergences artistiques qui surgiront aux quatre coins de la ville.

Page publiée le 27 janvier 2021 - Mise à jour le 27 janvier 2021