La culture tous azimuts

La culture tous azimuts

Depuis le 14 mars, à Vitry comme au niveau national, tous les lieux de culture sont fermés et tous les festivals et autres événements suspendus ou annulés. Privés de ses lieux, la culture n’a toutefois pas cessé d’être en action. Pour preuve, ce petit tour d’horizon, non exhaustif, des difficultés et des réponses apportées à la crise sanitaire par les opérateurs culturels à Vitry.

Acte 1 : se réinventer dans l’instant

Fermer un lieu de création et il s’invitera chez vous… C’est peut-être l’un des enseignements à tirer de ce temps de confinement. Car, à défaut de pouvoir maintenir une expérience collective de la culture dans un même lieu, les structures ont poursuivi leur mission coûte que coûte en l’adaptant à une diffusion individuelle.

« Notre cœur de métier, c’est l’accueil et l’accompagnement des publics, rappelle Raphaël Hubert, chargé de mission communication à l’Exploradôme. Mais du jour au lendemain, nous nous sommes retrouvés sans rien… une fois l’effet de surprise passé, on a rebondi pour garder le contact à distance en mettant en place des actions dématérialisées, même si on se rend bien compte que tout le monde n'est pas forcément équipé ! » Tous les opérateurs culturels se sont ainsi interrogés sur la manière d’atteindre leur public, trouvant le plus souvent une réponse en investissant les réseaux sociaux, les sites internet et en envoyant des courriels à leurs usagers. « Le fait d'être isolé a souligné à quel point la notion de lien est importante. On est très en manque… donc on se retrouve à créer et tisser du lien le plus possible », insiste Elsa Rossignol, directrice administrative des Écoles municipales artistiques (EMA). Une dématérialisation des Écoles qui a également eu vocation à ouvrir l’éducation artistique à tous les Vitriots. « Notre site internet est devenu un véritable lieu de ressource numérique, indique Elsa Rossignol, et ça, c'est nouveau pour les EMA, c'est quelque chose à creuser. »

Les artistes, de leur côté, déjà familiers des réseaux sociaux, ont mobilisé leur connaissance du numérique pour poursuivre leurs activités. Clea Petrolesi, metteure en scène et auteure du spectacle Enterre-moi mon amour qui devait se jouer en avril au théâtre Jean-Vilar, a ainsi, dans l’urgence, créé un projet numérique pour terminer l’accompagnement d’un groupe de jeunes en situation de handicap dans un atelier qu’elle donnait.

Mais interagir virtuellement a toutefois ses limites, comme l’ont remarqué les 3 Cinés Robespierre, seul équipement de la ville ouvert toute l’année, car « nous avons un public important de retraités et de familles, et tous ne sont pas habitués au numérique ou aux réseaux sociaux », indique Julie Szymaszek, responsable de l’action culturelle du cinéma. L’équipe du Kilowatt, de son côté, a réfléchi à la possibilité de la retransmission de concerts. « Mais cela demande une logistique et un investissement qu’on ne peut pas se permettre, surtout actuellement. Et puis, une représentation en live sur Facebook n’aura jamais le charme, les vibrations, la liesse de tout ce qui peut se passer sous un chapiteau », explique Adam Azarian, chargé de communication du lieu. « Ce qu'on peut vivre aujourd'hui par le biais du confinement, cette relation à la culture et à l'art, ne remplacera jamais le contact physique avec la création et avec l'œuvre », renchérit Emmanuel Posnic, directeur adjoint des services culturels. Idée unanimement partagée par chacun des opérateurs culturels… « Notre métier, c’est le vivant », rappellent-ils à l’envi.

Acte 2 : gérer le flou et remettre l’ouvrage sur l’établi

« À travers les réseaux sociaux et les sites internet des équipements, ce qui est important, c’est que, même si on travaille dans le flou, on continue à rendre un service au public. L'ensemble des agents se sent concerné par le fait d'apporter une pierre à l'édifice, même si l'édifice est fragile... » souligne Emmanuel Posnic. Et de fait, il a fallu agir vite et en aveugle pour repenser les modalités de travail puis refaire un nouveau calendrier des événements. Un ouvrage qui, à l’image de celui de Pénélope attendant Ulysse, semble destiné à être détricoté au rythme des annonces présidentielles pour être retricoté en fonction des discours ministériels. Une partie des 35 salariés de l’Exploradôme est passée en activité partielle. « Nous nous efforçons d’assurer une certaine sécurité matériel en complétant leurs salaires, explique son directeur, Amar Aber. Dans l’organisation, il y a eu une dynamique qu'on a réussi à mettre en place, notamment pour travailler sur l’aspect dématérialisé et sur l’idée d’une réouverture fin mai. Mais, désormais, il est question de mi-juillet… Alors, nous travaillons de nouvelles hypothèses que nous allons étudier, chiffrer, évaluer… » La structure, qui venait d’inaugurer sa nouvelle exposition, s’efforce donc de repenser ses activités et leurs modalités, de réélaborer des scénarios, et regarde fondre sa trésorerie en attendant des orientations de travail plus claires.

Le Kilowatt, dont la saison venait à peine de s’ouvrir, a d’ores et déjà annulé le festival Sur les pointes et reporté le Karnasouk et la Soviet Suprem Party. « On attend toujours de savoir si certains petits événements pourraient se faire avant mi-juillet. On attend de connaître le déroulement des mois à venir », explique Adam Azarian. En l’absence de manifestations, le Kilowatt ne fait pas de recettes et n’a donc pas de trésorerie pour avancer sur de nouveaux projets. « Nous travaillons, comme beaucoup de structures, à flux tendu, et la billetterie représente 50 à 60 % de nos apports, auxquels il faut ajouter la buvette, poursuit-il. Pour l’instant, nous avons réussi à geler au maximum les frais fixes du lieu. » Une mise en sommeil qui permettra peut-être au Kilowatt de passer la crise. « Nous envisageons différents scénarios, nous discutons beaucoup. Mais nous savons aussi que cette saison risque d’être portée par une activité quasi inexistante. Nous ne pourrons pas accueillir d’artistes internationaux tant que les frontières seront fermées… et nous ne pouvons pas décaler notre saison en hiver, car nous sommes un lieu d’extérieur. »

Appuyer sur la touche pause pour relancer la machine quand les conditions seront requises, c’est aussi la stratégie de certaines librairies. « J’ai réussi à réduire au maximum mes charges fixes, explique Isabelle Léger, de la librairie Les Mots retrouvés. Le soutien de la corporation (qui a négocié, pour l’ensemble des librairies, le report de grosses échéances) et de la ville a permis d’atténuer la violence de cette crise. » Isabelle Léger travaille désormais a son prévisionnel, a la possibilité de contracter un emprunt garanti par l’État pour refaire sa trésorerie et s’interroge sur les modalités de déconfinement. « Tous ces soutiens et tous les messages des clients m’ont montré que, si nous ne sommes pas de première nécessité, en tous cas, sans culture on meurt à petit feu. »

Acte 3 : lutter contre l’effet domino

Structures publiques et structures privées ne sont pas confrontées au même danger de disparition, mais toutes défendent la création. « À Vitry, la mairie continuera à nous défendre, mais le secteur et la vie de la création artistique vont être fortement impactés », insiste Nathalie Huerta, directrice du théâtre Jean-Vilar.

Pour le cinéma municipal, les 3 Cinés Robespierre, la perte très conséquente des recettes de la billetterie ne remet pas en cause son existence dans la ville. Mais, explique Julie Szymaszek, « certains films vont basculer directement en VOD, sans qu’ils aient été présentés dans les salles. Souvent, il s’agira de films de petites boîtes de production qui sont celles qui prennent le risque de promouvoir de nouveaux cinéastes et seront donc elles-mêmes en difficulté… » Même inquiétude du côté du livre : que vont devenir les ouvrages publiés en février-mars qui n’auront pas eu le temps de rencontrer leur public ? Comment feront les auteurs dont les livres ne paraîtront pas, ou plus tard, pour éviter de saturer les tables des librairies ? Bien sûr, les libraires seront là avec leur travail de défrichage, d’accompagnement et de conseils… Mais quelles seront leurs conditions d’accueil du public ? « Je n’imagine pas inviter un auteur dans la librairie sans public », explique Isabelle Léger.

Du côté de la galerie municipale Jean-Collet, dont l’exposition phare de la saison, autour de la peintre Catherine Viollet, sera décalée mais pas annulée, la nécessité d’être en contact avec le public et les scolaires reste au centre de ses préoccupations par l’investissement des réseaux sociaux. « Mais l’idée reste de ne pas révéler l’exposition pour permettre le déroulement des actions qui l’accompagnent », explique Céline Vacher, chargée de la communication à la galerie. L’expérience de l’art ne peut pas se dispenser des œuvres…

Depuis le début de la crise sanitaire, Nathalie Huerta s’était engagée dans un travail de « Tetris » pour reprogrammer plutôt que d’annuler les spectacles. Un travail balayé lors de la dernière annonce présidentielle. « En priorité, insiste-t-elle, il y a la question des artistes. La ville a choisi de payer les spectacles, même s’ils n’ont pas lieu. Mais parfois, les compagnies préfèrent être reprogrammées que rémunérées pour un spectacle qui ne se jouera pas. » Certaines d’entre elles ne pourront pas présenter leur travail avant un ou deux ans si elles sont déprogrammées, et d’autres risquent de perdre leurs subventions si elles ne font pas le nombre de cachets prévus. Autant de décalages qui auront des conséquences sur la programmation de septembre… Et, de décalage en décalage, les artistes se retrouvent dans une impasse.

Sylvaine Jéminet

Témoignage de Clea Petrolesi

Sa pièce, Enterre-moi mon amour, devait être jouée en avril au théâtre municipal Jean-Vilar. Déprogrammée à cause de la crise sanitaire, elle tente de trouver de nouvelles dates et modifie son œuvre à l’aune de son expérience du confinement.

Lire l’article : Témoignage de Clea Petrolesi, artiste programmée au théâtre Jean-Vilar

Page publiée le 21 avril 2020 - Mise à jour le 21 avril 2020